Après quarante-cinq années au plus haut niveau en saut d’obstacles, Philippe Rozier a décidé de lever le pied. A l’occasion de sa dernière participation en CSI 5*, à Equita Lyon, entretien avec le Francilien, sacré champion olympique par équipes en 2016 à Rio de Janeiro (BRA) avec Rahotep de Toscane (propriété de Christian Baillet), quarante ans après son père Marcel. Sophie Dubourg, directrice technique nationale, salue un cavalier “intègre, tant en équipe nationale qu'avec tous ses collègues, qui sort vraiment par la très grande porte”.
Vous avez annoncé vous retirer du sport de haut niveau après quarante-cinq ans de succès. Comment allez-vous et comment vivez-vous ce dernier CSI 5* à Lyon ?
Je vais bien et c’est pour cela que je veux finir de la bonne manière. Je ne veux pas faire l'année de trop, le parcours de trop. Je veux laisser une belle image de ce que j'ai fait pendant quarante-cinq ans. J'ai couru mes premiers Jeux olympiques à vingt ans, participé à cinq éditions, et j'ai trouvé que c'était le bon moment, tout simplement. Le hasard des choses a fait que mon dernier CSI 5* est celui d’Equita Lyon. Sylvie Robert a souhaité mettre cela à l’honneur, mais je ne fais pas mes adieux non plus parce que je veux continuer à monter un peu. Je ne m'imagine pas arrêter du jour au lendemain. Depuis quarante-cinq ans, je me lève tous les matins pour cela et je participe à des concours tous les week-ends. C'est sûr que je ne veux pas rester chez moi tranquille, j’ai plein de choses à faire. Je veux m'effacer progressivement et j’ai donc décidé de ne plus concourir en CSI 5* étoiles, mais on me verra encore sur quelques concours internationaux, peut-être celui du Salon du Cheval de Paris à la fin de l’année notamment.
Quel regard portez-vous sur votre carrière ?
J'ai eu une chance incroyable, je pense que je suis un privilégié. J'ai fait le tour du monde grâce aux chevaux, participé aux plus beaux concours du monde, gagné et obtenu des médailles. C'est ce que je retiens, que j'ai eu une belle vie, une belle carrière. Ma plus grande satisfaction est d'avoir réussi à me maintenir pendant quarante-cinq ans à haut niveau, d'être toujours présent avec des bons chevaux. Et Lyon, je crois que je n'ai raté aucune édition depuis trente et un ans. On a annoncé plus de sept cents victoires dans ma carrière, et déjà avec un seul cheval, Idéal de Roi, j’ai gagné cent épreuves rankings. J’avais dit que je l’arrêterai à la centième victoire, c’était un cheval exceptionnel qui gagnait beaucoup. J’ai participé à mes premiers Jeux olympiques à vingt ans, couru ma première Coupe des nations Seniors à dix-neuf ans, à Rotterdam, au début des années 80. Je dirais qu’à part Aix-la-Chapelle, je crois avoir gagné toutes les Coupes des nations au moins une fois.
Quel est le moment qui vous a le plus marqué ?
La médaille d'or à Rio en 2016, parce que je pense que tout le monde cherche à obtenir un titre olympique. Quand je demande aux jeunes ce qu’ils veulent faire, ils répondent tous devenir champion olympique, pas champion du monde ou d’Europe. C'est un rêve et j'ai eu la chance de le toucher. En plus, l'histoire est belle puisque c’était quarante ans après mon père Marcel et mon oncle Hubert Parot, titrés par équipes à Montréal (CAN) en 1976. On a trois médailles d'or dans la famille, celle marque notre histoire familiale. Cela perpétue le nom de Rozier, la boucle est bouclée.
Vous avez eu la chance de pouvoir compter sur le soutien de Christian Baillet pendant trente-cinq ans. En quoi cette collaboration, et plus globalement l’investissement de tous les propriétaires de chevaux, est importante dans la construction et la longévité de votre carrière ?
Je crois que la confiance, c'est la base. Avec Christian Baillet, cela s'est fait naturellement. Il est arrivé avec un cheval normal, sans dire “je vais investir pour vous, on va faire du haut niveau”. Cela n’a jamais été le discours. Tout s’est fait petit à petit, et cela a duré. La meilleure façon de le remercier était de remporter la médaille d'or à Rio. Je pense que je ne pouvais pas faire plus beau comme cadeau à un propriétaire qui est fidèle. En plus, on n'a pratiquement jamais acheté de chevaux tout prêts. Ce sont des chevaux que l’on a formé, ce qui rend l'histoire encore plus belle. On a acquis Rahotep quand il avait cinq ans par exemple. Puis la famille Baillet, ce sont des gens passionnés par les chevaux. Le rêve s'est concrétisé tous ensemble.
On retient Christian parce que c'est le propriétaire qui était là le plus longtemps, mais j'ai gardé certains propriétaires pendant une décennie, c’est une chance. J'ai fait cinq Jeux avec cinq propriétaires différents, dont Madame Henry, la propriétaire de Jiva. Il y a aussi eu Baiko Rocco V avec Jacques Abedecaroux, qui m’a permis de terminer vice-champion du monde par équipes en 1994, puis Barbarian, avec la famille Mallenec, passionnée de chevaux et d’élevage... J’ai monté des centaines de chevaux. Je dois remercier des centaines de personnes, que ce soit des maréchaux-ferrants, des vétérinaires, des propriétaires, des partenaires, des sponsors, des éleveurs…
Quel cheval vous a laissé un souvenir fort et pour quelle raison ?
Le premier, Jiva, acheté à cinq ans sans avoir rien fait. Je l’ai formé et il a été mon premier cheval avec lequel j’ai atteint le haut niveau à dix-neuf ans puis participé aux Jeux à vingt ans. Avoir tout fait ensemble donne une saveur particulière.
Qu'est-ce que toutes ces années en équipe de France vous ont appris ?
L’humilité, déjà. Dans ce sport, chaque jour, on est face à une feuille blanche, le compteur se remet à zéro. Ce que je dis aux jeunes monégasques que j'entraîne depuis cinq ans et ce que j’ai dit aux cavaliers marocains que j’ai longtemps accompagné. C'est un métier qui est dur, parce qu'on dépend d'un animal. Le sport rend humble, en tout cas celui-là. Il faut rêver et ne pas empêcher les jeunes de le faire, mais il ne faut pas non plus se faire des films car cela peut vite devenir un film d'horreur ! Le rêve est de l'autre côté du rideau, il faut y accéder d'une manière ou d'une autre mais c'est un sport que l’on pratique à deux.
Vous avez marqué plusieurs générations de passionnés. Que souhaitez-vous dire à vos supporters, mais également aux staffs et à tous ceux qui vous ont accompagnés ?
Le mot est simple, c'est merci à tout le monde. On ne fait rien tout seul. Il faut être très bon, être au bon endroit avec les bonnes personnes. Cela demande beaucoup de travail et de sacrifices ; dans ce sport, il n’y a pas de vie de famille, c'est un investissement de tous les jours et les vacances, on n'en parle même pas. Je remercie tous ceux qui m'ont aidé, qui m'ont soutenu. Et puis le public français m’a toujours bien reçu. On me dit souvent : “tu sais, Philippe, le public t'aime.” Je le sais et c'est réciproque.
Enfin, que peut-on vous souhaiter pour la suite ?
Pour moi, la suite est simple : je veux me mettre au service de mon sport. Je souhaite que les autres puissent profiter de toute l’expérience que j’ai engrangée. C’est aussi pour cela que j’ai pris le poste de directeur sportif à Gassin (83), que j’entraîne l’équipe de Monaco. Je souhaite également être l'ambassadeur de la France, de la belle équitation française et de notre savoir-faire. C’est un beau pays avec tout ce qu'il faut pour pratiquer l'équitation, des éleveurs, des organisateurs de concours incroyables. C'est ce que je veux faire,rester proche du haut niveau d'une manière ou d'une autre.
Peut-être qu'un jour, vous prendrez la tête de l'équipe de France ?
Cela peut, oui. On me l'avait déjà demandé, mais c'était trop tôt, je n'étais pas prêt. Chaque chose en son temps. C’est ce je dis toujours en rigolant, mais je ne cherche pas de boulot !
Le mot de Sophie Dubourg, directrice technique nationale
“Je remercie Philippe, de la part de la Fédération mais aussi à titre personnel, comme directrice technique nationale, puisque j'ai vécu cette belle médaille à Rio. Ce sont des années de complicité professionnelle, Philippe a toujours été quelqu'un de très franc, d’intègre, tant en équipe nationale qu'avec tous ses collègues. Pour moi, il sort vraiment par la très grande porte et d’une très belle manière. Confier son cheval de tête, Le Coultre de Muze, qu'il a construit lui-même avec l'engagement de son fidèle propriétaire Christian Baillet et qui est au sommet de sa carrière, à notre meilleur cavalier français Julien Epaillard, est vraiment honorable. J’espère que c’est un pari qui sera réussi pour tout le monde. A ce titre, je continue de le remercier même si on sait qu'on le croisera encore tous les jours.”
Le mot de Frédéric Bouix, président de la FFE
"Philippe Rozier est issue d'une famille de très grands cavaliers. Il a servi l'équipe de France pendant très nombreuses années, jusqu'à la plus haute des podiums olympiques. Il a marqué l'histoire de sa génération des sports équestres. Comme tout sportif, nous sommes certains qu'il ne va pas s'arrêter tout de suite et nous lui souhaitons une bonne continuation."